Les médias à la sauce COVID-19 : la confiance des français retrouvée ?

Les médias à la sauce COVID-19 : la confiance des français retrouvée ?

décembre 26, 2020 0 Par Fandresena

Lors de la cinquième semaine de confinement, les visites sur les sites des médias étaient en moyenne 57% supérieures à la normale : jamais les médias radio, télé et presse n’ont été autant écoutés, regardés et lus par les Français.

Des grands changements au sein des rédactions

Les salles de rédaction sont vides et pourtant les audiences sont exceptionnelles : les collaborateurs travaillent de chez eux en télétravail, et la routine hyper organisée a disparu : « Depuis le 16 mars, l’émission est comme un métronome déréglé. Il faut s’adapter d’autant plus que comme il y a moins de publicité, on doit tenir l’antenne pendant les deux heures, soit trente minutes de plus que d’habitude. Comme je suis seul en studio, il faut toujours être capable de faire face à quelques soucis techniques. Parfois, l’appli qui permet aux journalistes et chroniqueurs d’intervenir rencontre un problème ou un invité est injoignable. J’ai vécu quelques moments de solitude mais c’est le plaisir du direct et j’en parle librement avec les auditeurs », se remémore Thomas Sotto présentateur du 18-20 heures sur RTL.

Thibault Izoret, journaliste de l’équipe a ramené chez lui tout le matériel informatique nécessaire pour continuer à animer des live. « Chez moi je n’avais qu’un vieux Mac qui n’aurait jamais tenu. J’ai ramené en Uber mon PC professionnel, deux écrans, un micro et son bras qui pèse à lui seul 5 kg, une caméra et son trépied, des câbles, un fond vert… Le tout a dû rentrer dans mon studio parisien de 15 m². Il m’a fallu trois jours pour tout installer et tout configurer. La semaine, je n’ai pas le choix, je dois dormir sur mon canapé-lit en mode banquette car je ne peux pas le déplier. Le week-end je range le matériel pour gagner de la place, je ne peux pas circuler dans mon studio sinon », raconte-t-il. « Ma chronique en direct du plateau est devenue un duplex depuis ma cave. C’est là qu’on remercie la fibre! Il y a dix ou quinze ans, tout ça aurait été beaucoup plus compliqué », souligne Cédric Ingrand, spécialiste des technologies sur LCI.

Des journalistes touchés

Malheureusement l’épidémie n’a pas épargné les journalistes. « J’ai eu le coronavirus. Au tout début du confinement, j’ai développé les symptômes, toute la palette : toux, fièvre, problèmes respiratoires… J’ai pu l’attraper en reportage auprès de soignants ou de patients, comme j’ai pu le choper à la cantine de Radio France. Je me suis soignée, j’étais obsédée. Et puis, début avril, j’ai repris ma perche, ça me démangeait », témoigne Solenne Le Hen, journaliste santé Franceinfo.

En période de quarantaine, les patrons de rédaction doivent donc s’assurer avant tout de la santé de leur rédaction. Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter, a mis en place des règles strictes. « Pour chaque tranche d’information, il n’y a que trois personnes dans les locaux, le présentateur, le rédacteur en chef et un technicien, et nous avons élargi les plages horaires afin d’éviter de faire appel à une autre équipe. »

Et sur le terrain, les conditions de reportages sont devenues difficiles. « Nous devons prendre nos précautions, pour nous, nos familles et les personnes qu’on interroge. Personne n’a envie de contaminer les témoins d’un sujet. Nous utilisons des perches pour la prise de son, nos micros sont emballés dans de la cellophane, nous n’utilisons plus de micro-cravate. Évidemment le son est moins bon, d’autant qu’il n’y a plus de mixage en cabine », explique Matthieu Rappez, journaliste pour France 3 Nord-Pas-de-Calais.

« Nous sommes partis en voiture depuis Paris pour rejoindre le sud-est de la France. En sept jours de route, nous n’avons d’ailleurs été contrôlés que deux fois. Nous avons donné la parole aux soignants de Chambéry, où un cluster a pu être efficacement contenu au début de l’épidémie. Nous sommes aussi allés à la rencontre d’un patron de PME qui a adapté sa ligne de production pour produire des masques 100 % français. Des agents de gestion de la radio nous aident à trouver de quoi nous loger chaque soir. Ce n’est pas toujours simple dans les petites villes, quelques hôtels restent toujours ouverts. À Évian-les-Bains, un hôtel a rouvert uniquement pour nous », explique Benjamin Mathieu, reporter à Franceinfo.

Une ligne éditoriale dictée par la pandémie

Depuis quarante jours, on a comme l’impression que la ligne éditoriale de tous les grands médias n’est plus dictée par leurs actionnaires, mais par la pandémie qui ravage la quasi-intégralité de la planète. Un constat qui perturbe Gilles Bouleau, présentateur du « 20 heures » de TF1 et ancien grand reporter. « Depuis des semaines, l’intégralité des JT est consacrée au coronavirus. C’est incroyable sur une période aussi longue. Comme si tout le reste de l’actualité s’était dissous dans un vortex, un trou noir. Partout dans le monde, la problématique est la même. Et pour l’heure, toute l’intelligence humaine, tous les milliards, toute la recherche médicale sont impuissants. Tous les jours je vais à l’école du coronavirus et j’essaie d’apprendre », explique-t-il.

Le virus écrase tout, jusqu’à l’absurde. « Il y eu une éruption volcanique début avril à La Réunion. D’habitude on saute dans un hélicoptère et on multiplie les directs. Là ce n’était clairement pas la priorité éditoriale ! C’est bien la première fois qu’une éruption se passe dans l’indifférence générale », explique Laurent Pirotte, journaliste pour Réunion la 1re. Matthieu Rappez se souvient avoir « fait des sujets sur le Paris-Roubaix qui n’a pas lieu ou sur le port de Calais à l’arrêt, ce qui revient à filmer un parking vide. On doit apprendre à filmer le vide, ce qui n’est pas évident pour la télévision ».

Si le sujet est unique, la manière de l’aborder diffère. « Notre mission est celle d’informer au plus près », souligne Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme. « Il y a une appétence pour l’information locale, on le ressent encore plus profondément à l’occasion de cette crise. Les gens ont besoin de savoir ce qui se passe autour de chez eux. Ils ont aussi des attentes ludiques, de distractions, d’ouverture sur la connaissance. »

« L’agenda institutionnel est complètement à l’arrêt. Cela nous pousse à redoubler inventivité, et cela nous offre en même temps une énorme liberté. On donne la parole à qui on veut, personne ne nous dicte quoi faire », ajoute Alix Demaison, journaliste à Ouest-France Mayenne.

La sante et l’interactivité

Pour Marina Carrère d’Encausse, médecin et présentatrice du « Magazine de la santé » sur France 5, la pandémie a changé la relation des Français aux questions de la santé et à leur ressenti par rapport aux médias de masse. Les français sont passés d’une méfiance envers les médias à une adhésion certaine, voir une sympathie, notamment chez les jeunes : « Les plus jeunes ne se sentent pas forcément concernés par la santé. Mais nous nous sommes rendu compte qu’ils posaient beaucoup de questions sur le coronavirus. Il fallait s’adresser directement à eux alors nous avons créé le format « Allô docteurs » sur Snapchat. Dès les premières vidéos postées, nous avons eu 1 million de vues. Nous avons l’impression de faire œuvre utile », explique-t-elle. Pour Véronique Julia, journaliste santé France Inter, le sujet a tourné à l’obsession : « C’est dingue à suivre, passionnant. Le monde des infectiologues et de l’immunologie m’a totalement envahi. Ça en devient obsessionnel, et le sujet a contaminé la maison. J’en rêvais la nuit, j’en parlais non-stop, les enfants n’en pouvaient plus. »

« Au début nous faisions un bilan des décès chaque jour, mais très vite nous avons arrêté. Puis nous avons fait bouger le curseur vers davantage de détente. Aujourd’hui, on a dépassé la phase médicale, la phase d’angoisse et les questions sont désormais plus orientées sur la consommation, sur l’économie. Il faut toujours être à l’écoute des auditeurs mais il ne faut jamais perdre de vue la réalité du métier. Nous sommes là pour informer », souligne Thomas Sotto. Le journaliste s’interroge : « Qu’est-ce qu’on retiendra de cette crise ? Peut-être apprendre à dire : « Je ne sais pas » ! »